Avec le jugement du TGI de Lyon du 04/09/12 N° 11/05300 interdisant à la Caisse d’Epargne d’avoir recours à son système d’organisation du travail fondé sur le « benchmark » , le débat sur le mode d’évaluation des performances se trouve relancé à deux niveaux :

  • Celui d’un mode d’organisation du travail jugé en lui-même « anxiogène » et donc condamnable du fait de l’obligation de sécurité de résultat (art. L 4121-1 Code du Travail)
  •  Celui des systèmes d’évaluation des salariés.

 

Sur le premier point

Le TGI de Lyon relève que le système de mise en concurrence intensive des commerciaux, reposait exclusivement sur une comparaison publique et permanente de leurs résultats (Benchmark) avec pour seul objectif celui « de faire mieux que les autres »

De telle sorte que non seulement nul ne peut savoir s’il a non correctement travaillé, puisque l’appréciation de cette qualité dépend avant tout des résultats des autres, ce qui génère un stress permanent, mais cela contribue, en outre, à détériorer les relations sociales puisque les mauvais résultats d’un salarié impactent ceux de l’agence et donc la part variable de l’ensemble de ses collègues.

Il paraît donc légitime que le  TGI condamne une telle organisation qui pousse la recherche de performances à deux dérives, à savoir entretenir une concurrence entre les salariés et privilégier les résultats financiers par rapport à la satisfaction de la clientèle.

Cette condamnation est d’ailleurs dans la ligne de la position déjà retenue par la Cour de Cassation à l’encontre de la SNECMA en 2008, condamnant cette dernière pour atteinte à la sécurité et la santé de ses salariés du seul fait de son mode d’organisation. ( Cass. Soc. 05/03/2008, N° 06.45.888). De même la Cour d’Appel de Versailles avait retenu pratiquement la même argumentation de l’obligation de sécurité de résultat, pour condamner Renault (après le suicide d’un salarié) CA Versailles 19/05/2011, N° 10/00954.

  • Mais c’est aussi l’occasion de revenir sur certaines pratiques condamnables (et condamnées) d’évaluation des salariés.

A ce sujet, j’avais déjà commenté la condamnation de la société IBM en mars 2002 pour avoir mis en place un système de « Ranking et Rating » inspiré par le principe recommandé par Jacky Welch (ex PDG de Général Electric visant à éliminer chaque année les 10 % des salariés les moins bien notés.

J’avais ironisé dans un article publié par la revue « Personnel » en février 2009 sur ce qui pouvait ressembler au « tir au pigeon et/ou maillon faible »

Je recommandais alors un meilleur usage des Bilans de Compétences et des entretiens périodiques d’évaluation, fondés sur des critères objectifs.

 

Il convient de rappeler que la Cour d’Appel de Paris avait condamné le 03/11/2006 le groupe Mornay à respecter deux obligations avant la mise en place d’un système d’entretiens individuels.

  •  d’une part avec une déclaration simplifiée à la CNIL
  •  d’autre part en procédant à une consultation préalable du CHSCT (avant celle, également nécessaire, du comité d’entreprise) sous prétexte que « l’entretien d’évaluation constitue par lui-même des conditions stressantes ».

Certes cet argumentaire reposant sur un tel présupposé me paraît excessif, mais résulte sans doute des mauvaises conditions dans lesquelles ces entretiens d’évaluation sont trop souvent préparés ( ?) et conduits ( !)

Plus que jamais il convient de s’inspirer des principes dégagés par le jugement du TGI de Paris le 06/03/2012, N° 11/15323) condamnant le groupe SANOFI à supprimer son système d’évaluation des compétences du modèle LEAD

Le TGI a en effet estimé que

« un système d’évaluation des salariés doit être objectif et pertinent au regard de la finalité poursuivi, ne pas porter atteinte aux libertés individuelles et ne pas avoir pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés, ni évidemment constituer un outil disciplinaire.

Que le caractère pertinent et objectif suppose que l’évaluation repose sur des critères liés au travail, connus des salariés, identifiables et dépourvus de toute appréciation de valeur subjective.
Attendu que, si pour apprécier les aptitudes professionnelles d’un cadre dont les fonctions peuvent préserver des spécificités difficilement quantifiables, des critères reposant sur le comportement ne sont pas à priori illicites, encore faut-il qu’ils présentent un caractère exclusivement professionnel et suffisamment précis pour permettre au salarié de les intégrer dans un activité concrète, et à l’évaluateur de les apprécier avec la plus grande objectivité possible (…) »

Le TGI de Paris a jugé que deux critères (sur sept) reposant sur une compétence comportementale ne répondant pas à ces conditions … c’est l’ensemble du système qui doit être supprimé !

Ainsi la boucle me paraît bouclée sur les deux aspects concernant l’évaluation des performances dans le cadre d’un entretien d’évaluation ou d’un mode d’organisation du travail.
Souhaitons que les entreprises (et leurs DRH) sachent davantage tirer les leçons de ces recommandations si elles veulent éviter les contentieux et notamment ceux engagés par les CHSCT de plus en plus vigilants.

Il y va du rétablissement de la confiance des salariés concernant l’appréciation de leurs performances, qui est trop souvent mise à mal par l’image du « principe de décimation » instauré par Jack Welch.

 

Jacques  BROUILLET

Avocat au barreau de Paris

Cabinet ACD

 

20121003 /JB/MB


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