Jacques Igalens
Professeur Sciences de Gestion, IAE Toulouse et CRM-CNRS, Université Toulouse 1 Capitole

Le recrutement est un acte clef de la gestion des ressources humaines (GRH). Pour le mener au mieux, les responsables des ressources humaines font souvent appel à des consultants spécialisés : cabinets de recrutement ou chasseurs de tête lorsqu’il s’agit de trouver des compétences rares (quitte à débaucher chez un concurrent), agences de main d’œuvre ou services publics tels que Pôle emploi et, pour les cadres, APEC (Association pour l’emploi des cadres).

De nombreuses personnes interagissent au cours du processus de recrutement : candidats, responsables de l’entreprise demandeuse, éventuellement personnel du prestataire choisi pour le recrutement… Les relations entre tous ces intervenants peuvent être complexes, car les enjeux sont très différents pour chacun. Comment mieux protéger les droits et les intérêts des candidats ? La Fédération Syntec et l’Organisation Internationale du Travail (OIT) proposent des pistes via, respectivement, la Charte du « recrutement responsable » et l’initiative « recrutement équitable ».

Expliciter la déontologie liée au recrutement
Rédigée fin 2017, la charte de la Fédération Syntec (organisation professionnelle constituée de 1 250 groupes et sociétés françaises spécialises dans les professions de l’ingénierie, des services informatiques, des études et du conseil, de la formation professionnelle) débute ainsi :

« Le recrutement responsable instaure un partenariat confiant et durable, et une relation équilibrée entre les parties prenantes, candidats, entreprises et cabinets. Il s’inscrit dans un contexte d’ouverture, de transparence et de traçabilité, dans le respect des droits et obligations de chacune des parties. Son but avéré est de garantir aux candidats des pratiques responsables, respectueuses et inscrites dans la tolérance en parfaite cohérence avec les règles définies par le Défenseur des Droits. »

Elle détaille ensuite vingt recommandations qui précisent les relations souhaitables entre les cabinets de recrutement, leurs clients (les entreprises) et les candidats. On trouve, par exemple, l’obligation de confidentialité, l’interdiction d’exploiter des informations d’ordre privé recueillies sur les réseaux sociaux ou sur le Web (rappel bien utile par les temps qui courent…) ou encore le fait qu’à l’issue de sa mission, le cabinet de recrutement s’engage à fournir une réponse circonstanciée aux candidats reçus.

Cette charte, qui a déjà recueilli la signature de plus de cinquante cabinets de recrutement, est une combinaison d’obligations légales (par exemple l’interdiction de discrimination ou le fait de n’utiliser que des outils d’évaluation pertinents au regard de la mission poursuivie) et de bonnes pratiques. Elle est utile car elle explicite ce qui découle de la déontologie du recrutement, souvent mal connue des principaux intéressés, les candidats. Cependant, elle ne donne qu’une image partielle du recrutement.

Car celui-ci n’est malheureusement pas toujours éthique. Ainsi, certaines agences de main d’œuvre, que l’on pourrait qualifier d’officine, font venir illégalement des hommes (en majorité) et des femmes de pays à fort taux de chômage, ou de pays frontaliers moins riches que leur voisin. Les scandales liés à ces pratiques font de temps à autre l’objet des scandales, qui mettent sur la place publique l’action néfaste de ces « agences de placement » œuvrant dans de nombreux pays, du Canada à la Malaisie en passant par l’Espagne… Ou la France.

Qu’en est-il dans l’Hexagone ?
En France, pour conclure un contrat de travail avec un salarié étranger non européen résidant hors du pays, il existe une demande d’autorisation de travail dont le traitement par le ministère de l’Intérieur permet d’éviter certains abus. Depuis plus d’un an, dans le bâtiment, tout travailleur, qu’il soit détaché ou non, doit détenir une carte BTP qui vise à lutter contre la fraude au détachement de salariés d’entreprises établies hors de France.

Toutefois, malgré ces mesures, on trouve encore des pratiques illégales de recrutement dans le travail saisonnier, notamment agricole, ou dans le BTP et l’hôtellerie-restauration. Parfois, la société française qui embauche passe par une agence d’intérim étrangère pour effectuer le recrutement, ce qui complique le contrôle. Par ailleurs, nombre de grandes entreprises françaises sont établies via des filiales dans des pays moins regardants ou moins efficaces que la France en matière de lutte contre le trafic de main d’œuvre.

Pour faire face à cette situation, l’OIT a rédigé récemment ses « principes généraux et directives opérationnelles concernant le recrutement équitable ». Ce texte concerne potentiellement tous les migrants internationaux, soit 244 millions de personnes selon les statistiques des Nations-Unies. Il s’appuie sur plusieurs sources, la principale étant constituée par les normes internationales du travail et les instruments connexes de l’OIT.

Ne pas confondre responsable et équitable
Si, dans d’autres domaines, les termes « responsable » et « équitable » ont tendance à se rejoindre, ce n’est pas le cas dans le recrutement. En effet, l’appellation « recrutement responsable » décrit surtout le recrutement national, tandis que les règles proposées par l’OIT pour le « recrutement équitable » concernent avant tout le recrutement, pour des pays riches, de personnes peu qualifiées en provenance de pays pauvres. Ce flux de travailleurs ne se fait pas uniquement selon un axe sud-nord : les pays pétroliers du Golfe sont parmi les plus concernés.

L’OIT place la condamnation du dumping social parmi les premiers de ses principes généraux :

« Le recrutement devrait être utilisé pour répondre aux besoins avérés du marché du travail et non pour déplacer ou réduire les effectifs existants, tirer vers le bas les normes du travail, les salaires ou les conditions de travail. » (principe n°2)

Si ce premier principe s’adresse essentiellement aux entreprises, les autres concernent les intermédiaires qui agissent souvent en dehors du cadre légal et réglementaire, prenant pour proie les travailleurs peu qualifiés. Parmi les abus recensés figurent la fraude quant à la nature et aux conditions de travail, la confiscation des passeports, les retenues illégales sur salaires ou encore la servitude pour dette liée au remboursement des frais de recrutement ainsi que les menaces associées à la crainte d’être expulsé du pays, si les travailleurs veulent quitter leur employeur.

La définition du recrutement équitable comporte également l’interdiction de facturer aux demandeurs d’emploi des frais liés au recrutement. Est également mentionnée l’obligation de rédiger le contrat « dans une langue que le travailleur comprend », et de le lui remettre suffisamment longtemps avant qu’il ne quitte son pays d’origine. De même « la liberté des travailleurs de se déplacer dans le pays ou de le quitter devrait être respectée » (principe n°11) et une procédure de réclamation devrait être mise en place (principe n°13).

L’OIT milite pour rendre le recrutement équitable pour tous.

Le recrutement équitable et la loi française, même combat ?
Le « recrutement équitable » édicté par l’OIT est important pour les entreprises françaises qui sont soumises au très récent « devoir de vigilance » mis en place par la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017. Les préconisations de l’OIT concernent en effet plusieurs dispositifs imposés par le législateur.

Dans certains pays, le recours à des officines, formelles ou informelles, pour faire venir des travailleurs migrants dans les filiales ou chez les fournisseurs et sous-traitants est une pratique répandue. Celle-ci constitue un risque pour les entreprises françaises, au regard de ce « devoir de vigilance ». Elles doivent désormais faire preuve d’une diligence raisonnable pour évaluer ledit risque, et mettre en place des actions visant à prévenir les atteintes graves. Elles doivent également prévoir un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs aux éventuels cas de recrutement qui violeraient les droits des recrutés.

Dans ce contexte, le processus de recrutement est donc amené à faire l’objet de nouvelles investigations. Au-delà de la conformité à la loi, il faudra désormais être prévoir des audits réguliers, destinés à estimer sa conformité aux exigences du recrutement responsable et équitable. Ces nouveaux dispositifs devraient permettre de garantir enfin les droits des candidats et des nouveaux embauchés, quelles que soient leurs origines et quels que soient les postes auxquels ils aspirent.